Les Frères Musulmans égyptiens à l’épreuve de la révolution
L’Arabie saoudite, le foyer de la contre-révolution arabe (1) A grand renfort de pétrodollars, l’Arabie saoudite a lancé une vigoureuse…
L’Arabie saoudite, le foyer de la contre-révolution arabe (1)
A grand renfort de pétrodollars, l’Arabie saoudite a lancé une vigoureuse contre offensive politique pour neutraliser les effets des soulèvements populaires arabes, forgeant un glacis diplomatique autour des pétromonarchies par l’adjonction du Maroc et de la Jordanie, injectant quantités de dollars aux organisations islamistes arabes, en Egypte pour inciter le courant salafiste à se rendre maitre de la contestation populaire, en Syrie pour déstabiliser le régime de Bachar Al-Assad.
Sans crainte du ridicule, Ryad a même été jusqu’à sommer la Syrie de procéder à des réformes, sans se rendre à quelle point cette exhortation était malvenue en ce qu’elle plaçait la monarchie saoudienne, qui passe pour être parmi les plus autoritaires du monde, en porte à faux avec les aspirations de son propre peuple, dont elle bride ses plus élémentaires libertés, particulièrement la conduite des femmes au volant
Talonnée par la Turquie, qui se propose de devenir le pôle de référence régionale sur la base de sa diplomatie néo ottomane, la dynastie wahhabite, le foyer de l’intégrisme entend fédérer les états arabes non pas contre Israël, dont il est le principal bénéficiaire de ses coups de butoir contre le noyau dur du monde arabe, mais contre l’Iran chiite, parvenue au rang de puissance du seuil nucléaire en dépit d’un embargo de trente ans, dont il projette d’en faire, après l’Egypte nassérienne dans la décennie 1960, et l’Irak baasiste dans la décennie 1980, un nouvel abcès de fixation en vue de détourner la foudre qui risque de s’abattre sur la dynastie wahhabite.
Mais la tentative d’OPA lancée par les Salafistes égyptiens, le 29 juillet dernier au Caire, lors du manifestation menée sous des slogans wahhabites (2), l’interview à la télévision israélienne de l’ancien Vice président syrien, Abdel Halim Khaddam, transfuge baasiste allié des Frères Musulmans, la participation de la branche syrienne des Frères Musulmans à un colloque de l’opposition syrienne à Paris, en juillet 2011, sous l’égide de Bernard Henry Levy, le fer de lance de la stratégie médiatique israélo américaine, sur le théâtre européen, ainsi que le rôle de ministre occulte des affaires étrangères assumé par le philosophe français auprès de la rébellion libyenne jettent un voile de suspicion sur les motivations profondes de la confrérie.
Quarante eux ans de coopération stratégique avec les Etats-Unis ont débouché sur la judaïsation quasi complète de Jérusalem, la colonisation quasi-totale de la Palestine, l’implosion de l’Irak et la perte du pouvoir sunnite à Bagdad, le démembrement du Soudan par l’aménagement d’une enclave pro israélienne à l’embouchure du Nil, l’implosion de la Libye, sans pour autant que l’Arabie saoudite ne remette en question sa collaboration avec le Grand protecteur d’Israël, la caution de tous ses passes droits.
Le meilleur allié des pays occidentaux contre le nationalisme arabe et son partenaire essentiel dans l’implosion de l’Union soviétique, via la guerre d’Afghanistan, est, paradoxalement, le plus stigmatisé en la personne du petit fils d’un des fondateurs Tareq Ramadan par les intellectuels les plus pro américains de la scène européenne comme en témoignent les imprécations quasi quotidiennes de Sainte Catherine Fourest contre «Frère Tariq».
Des informations de presse ont fait état, de manière répétitive, de contacts entre les Frères Musulmans (FM) et l’administration américaine visant à la réhabilitation politique de la l’organisation pan islamique, particulièrement active désormais en Egypte et en Libye, depuis le coup de force de l’Otan, de même qu’en Syrie, dans une moindre mesure en Tunisie, et dont la branche palestinienne n’est autre que le Hamas.
La levée de l’ostracisme qui frappait jusqu’à présent la confrérie serait destinée à s’assurer sa coopération dans la stratégie américaine et compenser quelque peu l’impéritie des Etats-Unis dans la zone, du fait de son impuissance face à Israël en ce qui concerne le gel de la colonisation et la relance des négociations israélo-palestiniennes.
La rencontre, en Mai 2011, au Caire du ministre français des affaires étrangères, M. Alain Juppé, avec des représentants de la confrérie, de même que l’intention prêtée aux Frères Musulmans de se lancer dans la vie politique égyptienne sur la base d’un parti politique rénové, témoignent de cette nouvelle orientation, dont le terme ultime devrait être, selon le schéma américain, la mise en parenthèse de l’hostilité de l’organisation pan islamique à l’Etat hébreu.
Retour sur une confrérie parmi les plus anciennes formations politiques du Monde arabe.
Les «Frères Musulmans», l’éternel face à face avec l’armée
Si le Nil est l’artère vitale de l’Egypte, ses deux piliers en sont l’armée et les «Frères Musulmans» qu’une lourde querelle de légitimité oppose depuis un demi-siècle (3).
Fondée en 1928, la confrérie des Frères Musulmans revendique un droit d’antériorité dans la lutte pour l’indépendance nationale. Dans la foulée de l’effondrement de l’empire ottoman, cette organisation panislamiste se proposait comme objectif la renaissance islamique et la lutte non-violente contre l’influence occidentale.
Dans une zone ployant sous le joug colonial, son idéologie exercera un fort attrait sur les élites intellectuelles, propageant rapidement le mouvement dans les pays musulmans (Egypte et Soudan), ou français, mais aussi en Afrique du Nord (Algérie et Libye), et dans une moindre mesure en Tunisie et au Maroc.
Louvoyant entre la Monarchie égyptienne et le colonialisme britannique, alternant entre collaboration et opposition selon les nécessités de sa lutte, l’organisation sera frappée d’interdiction, à l’apogée de sa puissance en 1948, alors qu’elle revendiquait près d‘un million d’adhérents, représentant une force politique sur l’échiquier égyptien.
Son opposition fondamentale et violente aux États laïcs arabes a conduit à son interdiction, tout du moins à la limitation de ses activités dans de nombreux pays notamment en Syrie et en Irak (dont elle combattra l’idéologie laïque du Baas), ou encore en Egypte.
En Egypte, précisément, l’auteur du décret d’interdiction, Mahmoud Fahmi Nokrashi Pacha sera assassiné le 28 décembre 1948, entraînant en représailles, deux mois plus tard, l’assassinat du fondateur du Mouvement Hassan Al Banna (12 février 1949).
Sur fond de désastre militaire en Palestine et du choc traumatique à l’échelle arabe de la création d’Israël, ce règlement de comptes entre le trône égyptien et les Frères musulmans a sapé les fondements de la Monarchie, en même temps qu’il a jeté un discrédit sur la confrérie. En effet, cette guéguerre inter égyptienne sera perçue comme une opération diversion, dérisoire au regard du choc de la création d’une entité occidentale à l’épicentre du monde arabe: Israël. Pendant longtemps pèsera sur les «Frères Musulmans» la suspicion d’être un instrument de dérivation du colonialisme anglais dans le conflit central des Arabes, la Palestine, au même titre d’ailleurs que le Parti populaire Syrien (PPS) et le parti pan syrien fondé par le libanais Antoun Saadé.
Le chef du parti pan syrien, le Libanais Antoun Saadé, auteur présumé d’un coup de force au Liban, est passé par les armes devant un peloton d’exécution, le 8 juillet 1949, six mois après son confrère égyptien. Son parti est voué à la clandestinité tandis que l’ordonnateur de la condamnation, le premier ministre libanais Riad El Solh, est assassiné à son tour, en 1951, lors d’un déplacement à Amman, fief par excellence du Royaume uni au Moyen Orient, et le refuge des deux formations de l’ère de l’Indépendance arabe, au parcours identique, le laïc PPS et le religieux Frères Musulmans.
L’armée égyptienne coiffe ainsi au poteau la confrérie, et rafle la mise en emportant la monarchie en même temps que les rêves de pouvoir de l’organisation panislamiste qui est dissoute en 1954. Le coup d’état du «groupe des officiers libres», le 26 juillet 1952, expédie le Roi Farouk en exil et la confrérie dans la clandestinité.
Erreur fatale. Depuis son nouveau refuge royal, la confrérie mène le combat contre Gamal Abdel Nasser, chef charismatique des Arabes auréolé d’une authentique légitimité populaire, cible d’une offensive occidentale sans précédent dans le Monde arabe.
Nasser avait les yeux rivés sur Tel Aviv, les Frères Musulmans sur La Mecque, la City et Wall Street. L’officier nationaliste percevait Israël comme la principale menace sur le Monde arabe et privilégiait la solidarité pan arabe alors que les Frères Musulmans prônaient la solidarité religieuse comme antidote à la laïcité, occultant le fait israélien. La confrérie, qui avait mené le combat contre le colonialisme britannique en Egypte, se ralliait ainsi aux pires ennemis de son pays: l’Arabie saoudite (le vassal émérite de l’Amérique), et la Jordanie (le gendarme britannique au Moyen Orient).
Références
1- Pour une problématique de l’alliance de l’Islam sunnite avec les Etats-Unis d’Amérique depuis la fin de la II me Guerre Mondiale, Cf à ce propos « Les Révolutions arabes ou la malédiction de Camp David» René Naba ,Editions Golias-Mai 2011.
2- La tentative d’OPA des salafistes égyptien sur le mouvement contestataire égyptien 29 juillet 2011 à Tahrir, «le vendredi de la réaction et du sectarisme vu par Hossam El-Hamalawi
http://egyptesolidarite.wordpress.com/2011/08/06/29-juillet-2011-a-tahrir-le-vendredi-de-la-reaction-et-du-sectarisme-vu-par-hossam-el-hamalawi/3- Sur les perspectives post révolutionnaires des relations Armée Frères Mususlmans
Cf Analyse des racines de la «révolution démocratique» en Egypte par Omar El-Shafei http://egyptesolidarite.wordpress.com/2011/07/22/analyse-des-racines-de-la-revolution-democratique-en-egypte-par-omar-el-shafei/Ainsi que le cri d’alarme de 36 ONG le 24 août 2011 au Caire qui dénoncent les «successeurs du régime Moubarak et leurs assauts répétés contre la société civile et la liberté d’association».
Comments
J’espère que vous démêlerez l’écheveau compliqué des liens entre Sadate et les Frères et, partant, l’enjeu véritable de la guerre des 6 jours appelée de ses voeux par les Saoudiens pour briser Nasser et étouffer le nationalisme arabe par la montée de l’islamisme.
Il me semble que cette promotion de l’islamisme visait apparemment à lutter contre l’URSS. Mais aussi, à conforter Israël par la mort du nationalisme à peu près laïc de Nasser, et beaucoup plus manifestement laïc du baath dans ses deux branches rivales.
Vous faites un travail formidable.
Toute mon admiration.
Formidable , j’attends la suite avec impatience !!